lundi 31 mars 2008

La raison, la recherche scientifique et l’avenir de la planète

Manifeste écrit par Hélène Langevin-Joliot et Edouard Brézin


L'aventure humaine ne saurait être dissociée du rôle fondamental de la raison. Cet exercice d'une fonction critique fondée sur le libre examen du réel, s'il est indispensable à la science, l'est tout autant pour faire progresser la démocratie.

Le rôle de la science et la notion même de progrès sont aujourd'hui contestés. Beaucoup reconnaissent que le progrès scientifique a contribué à rendre possible l'allongement considérable de l'espérance de vie et l'amélioration du niveau de vie moyen dans les pays développés, et dans une moindre mesure dans le reste du monde. Mais ils constatent aussi que le développement de l'économie que ces progrès ont permis n'a pas fait disparaître l'inacceptable misère qui est encore le sort de tant d'êtres humains, qu'un gaspillage des ressources et des atteintes de plus en plus graves à l'environnement l'ont accompagné. Nous savons désormais que l'avenir de la planète est en question et que l'on ne peut plus poursuivre aveuglément le modèle de développement qui a jusqu'ici servi de référence. La situation exige des changements profonds dans les priorités économiques comme dans les comportements. Elle exige aussi, avec la prise en compte du principe de précaution, celle du principe de progrès ouvrant la voie aux découvertes futures.

Le progrès scientifique n'entraîne pas automatiquement celui de la société, mais il en est plus que jamais une condition nécessaire. On ne saurait agir efficacement face aux problèmes d'environnement mondiaux, aux endémies, aux menaces de pandémie ou au sous-développement sans des efforts pour mieux comprendre notre monde, alors que certains voudraient que les chercheurs aient pour seul rôle de répondre aux préoccupations immédiates des institutions, des entreprises ou de la société. Nous appelons les communautés scientifiques à s'impliquer plus fortement dans les réflexions collectives et les actions à engager pour l'avenir de la planète. Elles sont les mieux placées, dans un effort international, pour établir et actualiser régulièrement les bilans de connaissances acquises et pointer celles à approfondir. Nous appelons à mobiliser sans frilosité les technologies disponibles, à en développer de nouvelles, à développer les débats démocratiques sur les choix à effectuer pour permettre la transition nécessaire vers un développement durable assurant une meilleure qualité de vie.

Il n'y aura pas de contribution significative de la France à de tels objectifs sans un nouvel élan à la recherche scientifique. Une politique de recherche ambitieuse ne peut réussir qu'en s'appuyant sur l'initiative des chercheurs dans les universités comme dans les centres de recherches publics ou privés, en leur donnant la parole et en les libérant du fardeau d'une bureaucratie envahissante, en soutenant vigoureusement la recherche fondamentale dans sa diversité. L'histoire montre que c'est de celle-ci que surgissent les applications de la science les plus novatrices. Des avancées réelles face aux défis posés par la préservation de l'environnement appellent de même une vision à long terme du développement de nos connaissances, sur la nature et sur les sociétés humaines, combinant projets finalisés et exploration de domaines sans rapports directs avec les préoccupations immédiates.

Les sociétés modernes ont des besoins croissants de chercheurs, d'ingénieurs et de techniciens, mais elles ont aussi impérativement besoin de citoyens formés à l'esprit et aux méthodes de la science. Nous appelons à agir pour changer une situation où la science et la recherche n'ont aucune place ou une place très réduite dans la culture générale, y compris celle des élites intellectuelles et politiques. L'enjeu est aussi important pour la démocratie que l'alphabétisation en d'autres temps. Un objectif majeur de l'enseignement, scientifique en particulier, devrait être de promouvoir l'esprit critique, la curiosité et la rigueur de raisonnement illustrés par les processus de recherche. C'est le moyen de préparer les esprits à reconnaître et rejeter les fausses sciences, de faire reculer les tentations obscurantistes et le développement d'un relativisme pernicieux. Si la science se remet perpétuellement en question, cela ne saurait signifier qu'elle efface l'œuvre du passé, elle la transforme et l'enrichit.

Nous défendons l'apport des Lumières et récusons les offensives spiritualistes en science. On ne saurait réduire celle-ci à ses aspects utilitaires en oubliant sa valeur culturelle, en sous estimant ou même en niant le rôle émancipateur du progrès des connaissances. Il n'y a pas de culture humaniste moderne sans intégration des apports de ces progrès au mouvement historique des idées, de la morale et de l'éthique. Il n'y a pas de culture humaniste moderne sans intégration des valeurs de la laïcité : la laïcité est un puissant facteur d'unité entre des citoyennes et des citoyens, croyants ou incroyants, confrontés aux mêmes difficultés, appelés à se construire un même avenir. C'est un garant du refus d'endoctrinement des esprits, de l'indépendance de la recherche scientifique par rapport aux tabous religieux ou autres, une référence pour celle des moyens de communication et des média, une garantie essentielle pour la liberté d'expression.

Nous appelons à réhabiliter le rôle de la raison dans son exercice critique. Nous appelons à une refondation des rapports de la science et de la société, au développement de la culture scientifique dans la culture générale et à la défense de la laïcité comme garantie du respect des droits de l'homme et de la liberté de penser.

Premiers signataires

• Sébastien Balibar (Directeur de Recherche au CNRS)
• Jean-Michel Bony (Membre de l'Académie des sciences)
• Pierre Berest (Directeur de recherche à l'Ecole polytechnique)
• Michel Blay (Directeur de recherche au CNRS)
• Jacques Bouveresse (Professeur au Collège de France)
• Edouard Brézin (Professeur émérite, Université Pierre et Marie Curie, Membre de l'Académie des sciences)
• Michel Broué (Directeur de l'Institut Henri Poincaré)
• Roland Douce (Professeur émérite, Université Joseph Fourier, Membre de l'Académie des sciences)
• Christian Dumas (Professeur à l'ENS - Lyon, Membre de l'Académie des sciences)
• Gérard Fussman (Professeur au Collège de France)
• Maurice Goldman (Membre de l'Académie des Sciences)
• Robert Guillaumont (Membre de l'Académie des sciences)
• Serge Haroche (Professeur au Collège de France, Membre de l'Académie des sciences)
• Jean Iliopoulos (Directeur de recherche émérite au CNRS, Membre de l'Académie des sciences)
• Pierre Joliot (Professeur honoraire au Collège de France, Membre de l'Académie des sciences)
• Jean-Pierre Kahane (Professeur honoraire à l'Université Paris XI, Membre de l'Académie des sciences)
• Philippe Kourilsky (Professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences)
• Hélène Langevin-Joliot (Directrice de recherche honoraire au CNRS)
• Michèle Leduc (Directrice de recherche au CNRS)
• Hervé Le Treut (Directeur de recherche au CNRS, Membre de l'Académie des sciences)
• Roger Maynard (Professeur émérite, Université Joseph Fourier de Grenoble)
• Jean-Claude Pecker (Professeur honoraire au Collège de France, Membre de l'Académie des sciences)
• Christine Petit (Professeure au Collège de France, Membre de l'Académie des sciences)
• Michel Petit (Ingénieur général honoraire des télécommunications, Membre de l'Académie des sciences)
• Jacques Prost (Membre de l'Académie des sciences)
• Daniel Roche (Professeur au Collège de France)

Liste alphabétique des signataires:
Signataires
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La raison, la recherche scientifique et l’avenir de la planète

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